PNR du Crasc, 2005, p. 217-222 | Texte intégral
Collectif
La question principale que nous nous sommes posée dans cette recherche était de savoir si la fréquentation d’un espace de préscolarisation avait un effet bénéfique de stimulation intellectuelle et si cet effet perdure tout au long de la scolarité.
Les indicateurs de champ choisi : le raisonnement, la compétence textuelle et la créativité, ont nécessité la construction de tests spécifiques dont l’inspiration vient des objectifs et des programmes scolaires. Les résultats obtenus par les enfants au cours de l’évaluation scolaire ont servi d’indicateurs de comparaison. Les tests dont la passation s’est faite à la même période pour le même groupe d’enfants ont abouti aux conclusions suivantes :
Axe raisonnement :
En première année les sujets issus de l’espace « mosquée » sont en situation d’échec marqué par rapport aux sujets issus des deux autres espaces et qui sont de performance équivalente.
En sixième année les sujets issus de la classe enfantine sont en réussite totale alors que les sujets mosquée sont en situation d’échec.
Axe : compétence textuelle :
En première année les sujets issus des espaces de préscolarisation (classe enfantine et mosquée) sont en situation de réussite moyenne alors que les non préscolarisés sont en situation d’échec (bien qu’en récit libre, ils dominent les autres groupes, voir T. 4).
En sixième année, globalement tous les sujets sont en situation de réussite.
Axe créativité et dessin :
Que ce soit en première ou en sixième année fondamentale, globalement, les non préscolarisés ont une meilleure réussite.
En première année : les non préscolarisés ont de meilleurs résultats sur le plan : de la créativité, de la réalisation du bonhomme et sont suivis par la mosquée et enfin ceux de la classe enfantine qui sont bien plus inhibés et conformistes.
En sixième année : les non préscolarisés et ceux des classes enfantines sont à peu près au même niveau. Les mosquée sont inhibés et ont un fonctionnement pauvre, stéréotypé.
Axe évaluation et résultats scolaires :
Tous les sujets, quel que soit l’espace fréquenté, en première et sixième sont en situation de réussite.
L’étude des résultats obtenus dans chaque axe nous ont permis d’élaborer un tableau global (N° 1 de performances) où les résultats sont distribués sur une échelle à cinq niveaux allant du non réussi au très bien réussi.
Les échelles établies par chaque chercheur sont plus fines et donnent des résultats plus contrastés. Ainsi certains enfants par exemple ont un bon contrôle moteur mais une mauvaise performance quant à l’élaboration et la créativité.
Pour faciliter la comparaison entre groupe nous avons fait un protocole dérivé qui ne tient compte que de deux niveaux : Réussi (1), Non réussi (0) ce qui constitue une traduction d’un ensemble inachevé de classes (0 à n classe) ou un ensemble fini de classes permettant une comparaison lisible. Pourquoi le système binaire ? Il permet de trancher, c’est à dire de déterminer ceux qui ont réussi et ceux qui n’ont pas / ou moins bien réussi. Car il est difficile de sérier le niveau de réussite compte tenu de notre échantillon.
Avec les données recueillies sur le tableau des performances (T.N°1), nous avons élaboré un premier protocole que nous avons appelé protocole de base (annexe 01). Ce protocole de base montre les performances et non performances différenciées des sujet issus des trois espaces de socialisation.
A partir du protocole de base, nous avons tiré un second protocole dit « dérivé » (annexe 02), portant uniquement sur les performances (notées 1) ou non performances (notées 0).
Dans un souci de lisibilité, nous avons scindé la synthèse des résultats en deux parties : une pour les sujets de première année et l’autre pour ceux de sixième année:
Première année
Le protocole dérivé montre que tous les sujets, quel que soit l’espace initialement fréquenté, sont en situation de réussite scolaire. Ils semblent maîtriser toutes les connaissances disciplinaires, telles qu’inscrites dans le programme officiel (éducation religieuses, éducation mathématique, expression écrite et orale). Cependant, selon les tests construits par les chercheurs, il se dégage une différenciation de profils très accentuée chez quinze sujets sur dix huit (83,3%).
Tableau n° 62 : résultats comparatifs en matière de : CT : compétence textuelle, CR : créativité, RA : raisonnement, CD : capacités disciplinaires
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CT |
CR |
RA |
CD |
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M1 |
1 |
1 |
0 |
1 |
|
M2 |
0 |
1 |
0 |
1 |
|
M4 |
0 |
0 |
0 |
1 |
|
M5 |
1 |
1 |
0 |
1 |
|
M6 |
0 |
1 |
1 |
1 |
|
CE1 |
0 |
1 |
1 |
1 |
|
CE2 |
1 |
0 |
0 |
1 |
Observations |
CE3 |
1 |
1 |
0 |
1 |
|
CE4 |
0 |
1 |
1 |
1 |
* 5 sujets sur 15 réussissent |
CE6 |
1 |
1 |
0 |
1 |
en compétence textuelle (CT) |
NP1 |
0 |
1 |
1 |
1 |
* 5 sujets sur 15 réussissent |
NP3 |
0 |
1 |
0 |
1 |
en raisonnement (RA) |
NP4 |
0 |
1 |
0 |
1 |
|
NP5 |
0 |
1 |
1 |
1 |
|
NP6 |
0 |
1 |
0 |
1 |
* 13 sujets sur 15 réussissent en créativité (CR) dont 5 NP sur 5 |
La comparaison des différentes données fait ressortir des cas de similitude et des cas de dissemblance.
Tableau n° 63 : Cas de similitude
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CT |
CR |
RA |
CD |
Observations |
M3 |
1 |
1 |
1 |
1 |
|
CE5 |
1 |
1 |
1 |
1 |
Réussite totale |
NP2 |
1 |
1 |
1 |
1 |
|
M1 |
1 |
1 |
0 |
1 |
|
M5 |
1 |
1 |
0 |
1 |
Cas d’échec en raisonnement |
CE3 |
1 |
1 |
0 |
1 |
|
CE6 |
1 |
1 |
0 |
1 |
|
NP3 |
0 |
1 |
0 |
1 |
|
NP4 |
0 |
1 |
0 |
1 |
Cas d ‘échec en compétence textuelle et raisonnement |
NP 6 |
0 |
1 |
0 |
1 |
|
M2 |
0 |
1 |
0 |
1 |
|
M6 |
0 |
1 |
1 |
1 |
|
CE 1 |
0 |
1 |
1 |
1 |
|
CE 4 |
0 |
1 |
1 |
1 |
Cas d’échec en compétence textuelle |
NP1 |
0 |
1 |
1 |
1 |
|
NP5 |
0 |
1 |
1 |
1 |
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Tableau n° 64: Cas de dissemblance
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CT |
CR |
RA |
CD |
M4 |
0 |
0 |
0 |
1 |
CE2 |
1 |
0 |
0 |
1 |
Observations sur les cas de dissemblance :
1er cas : M4 a échoué à tous les tests malgré une réussite scolaire brillante[1] une piste explicative pourrait être celle d’une difficulté d’adaptation aux situations nouvelles (tests présentés par les chercheurs).
Mais comme l’échec et/ou la réussite demeure sous le déterminisme de plusieurs facteurs, il serait intéressant de s’interroger sur d’autres questions comme la différence de conditions d’examen scolaire par rapport aux conditions de passation des tests.
Le cas CE2 a échoué au test de créativité et de raisonnement mais a réussi à celui de la compétence textuelle, il a à son actif des résultats scolaires plus que satisfaisants. Si les hypothèses explicatives concernant le 1er cas peuvent être retenues pour celui-ci, il n’en demeure pas moins que la réussite au test de compétence textuelle de CE2 pourrait être attribuée à la place qu’occupe le langage dans les activités de la classe enfantine.
Le dépouillement du protocole dérivé fait apparaître une plus grande homogénéité des résultats des sujets. Deux groupes se dégagent nettement :
Le premier est composé de onze sujets (11 sur 16) ayant obtenu des scores satisfaisants à tous les tests et de bon résultats scolaires.
Le second groupe composé de trois sujets (3 sur 16) ayant réussi partout sauf en raisonnement.
L’analyse a montré que 50% des sujets non préscolarisés ainsi que 50% des sujets de l’espace mosquée ont doublé au moins une classe durant leur cursus, contrairement aux sujets de la classe enfantine. La fréquentation de la classe enfantine semble jouer un rôle favorable dans la trajectoire scolaire.
En tenant compte des particularités socioculturelles, les sujets préscolarisés en mosquées sont les plus défavorisés sur les plans de la catégorie socioprofessionnelle des parents, leur niveau d’instruction, le nombre d’enfant/famille et le taux d’occupation de l’espace habité.
La comparaison des résultats des sujets de première et de sixième année, nous amène à dire que pour la première année 19% des sujets présentent des profils de réussite similaire alors qu’en sixième année ils sont 87,5%. Nous pouvons avancer l’hypothèse que c’est l’école, qui au travers de son arsenal méthodologique, conceptuel et disciplinaire, atténue les différences et les spécificités individuelles.
Ce travail d’homogénéisation aboutit à la formation d’un groupe constitué d’une majorité à performance moyenne. En comparant les sujets par espace, nous constatons une grande disparité dans les performances des sujets appartenant à l’espace mosquée, soit 86%. Pour ces derniers, on note une moindre performance en raisonnement, en créativité et en compétence textuelle.
A la lumière des données traitées dans les différents protocoles, il apparaît que les objectifs définis dans le domaine du raisonnement n’aient pas été entièrement atteints.
A la question de savoir si la fréquentation des différents espaces de préscolarisation constitue un facteur discriminant dans les apprentissages fondamentaux, une réponse nuancée peut être avancée : si fréquenter un espace de préscolarisation joue un rôle favorable dans le développement du langage (test de compétence textuelle) mettant en première position la classe enfantine puis la « mosquée », il n’en demeure pas moins, que pour la capacité de raisonnement, l’étude à mis en exergue son impact quasi insignifiant. De plus, si durant le cursus scolaire, l’école a progressivement fait disparaître l’acquis somme toute « théorique » de la fréquentation d’un espace de préscolarisation, il n’en demeure pas moins que pour les sujets des classes enfantines, un parcours scolaire sans accrocs est à noter. Les CE étant issus de famille d’enseignants ou de cadres supérieurs, il nous semble nécessaire de se demander si le niveau socioculturel des familles n’est pas aussi déterminant que le type de préscolaire dans la réussite scolaire.
Ces résultats posent la nécessité d’une réflexion relative aux modalités de prise en charge de la petite enfance dans les espaces institutionnels. L’apport, démontré par ailleurs, du préscolaire à la réussite scolaire impose à notre niveau une réflexion sur :
les objectifs du préscolaire tel qu’il fonctionne actuellement en Algérie,
la formation pédagogique des éducatrices,
les méthodes pédagogiques usitées.
La fréquentation d’un espace institutionnel semble jouer un rôle favorable dans l’acquisition et le développement du langage. Par contre, elle ne constitue pas un facteur discriminant dans l’installation des capacités de raisonnement. Tous les sujets sont en situation de réussite, selon l’évaluation scolaire. Or, tous les tests des chercheurs ont été construits sur la base des objectifs libellés dans les programmes officiels.
Cette contradiction, entre les résultats des tests et les performances scolaires, n’incomberait-elle pas à une inadéquation entre la pratique pédagogique (enseignement-apprentissage) et les objectifs assignés à la premières année ? Dans un souci d’économie temporelle et énergétique (peut-être aussi par manque de formation), l’enseignant semble opter pour la mémorisation de mécanismes opératoires à restituer dans des situations déjà connues et rarement nouvelles. Par exemple, l’échec en situation de raisonnement n’a pas empêché m4, NP3, NP4 d’avoir respectivement obtenu 10 sur 20, 15 sur 20 et 16 sur 20 en mathématique.
Notes
[1]19 sur 20 éducation religieuse
10 sur 10 élocution
18 sur 20 en éducation mathématique